Les zones humides en libre évolution.
Eaux douce, saumâtre, salée

Faciliter les flux en faveur du vivant

Les seuils et barrages forment des obstacles aux processus naturels (courants, méandres, création d’îles, sédimentation, crues, migrations, etc.). Accepter qu’un cours d’eau soit naturellement détourné par une sédimentation plus importante sur certains de ses méandres permet au flux de ne pas stagner. La variété de ces paramètres, comme les différences de granulométrie ou les cavités des débris, offre une mosaïque de micro-habitats. Les poissons, comme les saumons, passant de l’océan aux rivières et vice-versa voient leur route migratoire barrée et leurs habitats dégradés. Les digues, polders (marais littoral endigué et asséché) et drains de marais peuvent à ce même titre bloquer les continuités écologiques. Laisser par exemple un estuaire en libre évolution offre une nourriture importante pour beaucoup d’espèces de poissons, ce qui accroît les chances de viabilité des populations et permet à la chaîne trophique de ne pas être bouleversée. En effet, il est démontré qu’un marais côtier naturellement et périodiquement envahi par la mer est plus riche qu’un polder (1). La dépoldérisation devient un phénomène de plus en plus courant et à encourager encore.

La dispersion des organismes est nettement facilitée lorsque les zones humides sont en libre évolution.

Que faut-il faire pour rendre nos rivières plus sauvages et favoriser à nouveau l’expansion de ripisylves ? Rien de plus facile ni de plus rapide et spectaculaire : il faut faire la révolution. (…) Pour cela, il nous faut revenir sur des siècles de contrôle obsessionnel pour décider où doit passer le fleuve. Briser les digues et retirer les enrochements nécessite donc un gros travail sur nous-même car c’est un retour sur aménagement, une négation de notre propre action. (…) Le tout est très gratifiant car la ripisylve pousse très vite. Le résultat ne se fait pas attendre. La fonctionnalité de cet écosystème remarquable est très vite opérationnelle : stockage et purification de l’eau, augmentation du volume de bois mort, etc.

G. Cochet, S. Durand

Ré-ensauvageons la France - 2018 - Actes Sud

En février 2021, EDF a obtenu l’accord du gouvernement français pour réduire la hauteur (17m à 4m) du barrage de Poutès en Haute-Loire. Les saumons sauvages menacés d’extinction pourront désormais transiter entre l’Allier (rivière particulièrement précieuse pour leur conservation) et l’Atlantique. Grâce aux eaux recommençant à être de nouveau poissonneuses, une famille de loutres s’est déjà installée dans le cours d’eau. 

Conserver une meilleure fonctionnalité des cours d’eau

Le tracé naturel des cours d’eau a été perturbé en grande partie à cause des barrages et des nombreux seuils mis en place pour les activités humaines. L’élimination des arbres tombés dans les cours d’eau ou emportés lors d’inondation détruit des gîtes pour de nombreuses espèces aquatiques et empêchel’écosystème de s’enrichir en matières nutritives. Toutes ces détériorations ont causé d’importantes pertes de biodiversité et d’habitats, ce qui a réduit la biomasse et la diversité spécifique présentes dans ces milieux. En France, depuis le XXème siècle, la qualité de ces milieux s’est considérablement dégradée.

Les cours d’eau sauvages s’avèrent très précieux pour la diversité des espèces aquatiques et des espèces des milieux riverains. C’est la raison pour laquelle il faut leur permettre d’évoluer librement de façon à ce que leurs fonctions écologiques s’expriment pleinement. Les ripisylves et les boisements alluviaux sont partie prenante des cours d’eau et leur libre évolution va de pair avec celle des rivières.

Suite à des actions de ré-ensauvagement de l’Oder, la restauration des migrations de poissons a permis un grand rassemblement de pyguargues à queue blanche. Environ 200 pygargues se sont retrouvés dans le delta de l’Oder (fleuve d’Europe centrale) en août 2018 pour pêcher suite à une baisse des eaux. La population de ces oiseaux a augmenté d’environ 30 % entre 2008 et 2018. (voir l’article et Rewilding Oder)

Apporter des nutriments aux rivières et créer de nouveaux habitats

Bien que la pensée commune considère une rivière en « bon état » quand l’eau est transparente et les berges bien dégagées de toute végétation, un cours d’eau sauvage est bien différent de cette vision très anthropocentrée. Laisser en place les embâcles naturels, comme les troncs, les branches et les feuilles mortes tombées dans les cours d’eau, permet un apport en nutriments. Ne pas retirer les embâcles offre aux poissons et autres invertébrés aquatiques nourriture et abri par rapport aux prédateurs. En aval, des bras ou des îlots peuvent se créer grâce aux embâcles et devenir des habitats pour de nouvelles espèces.

Bien que les débris ligneux nous donnent une impression de désordre, leur présence fait en réalité partie des processus naturels.

En vue de favoriser la biodiversité, il arrive que des gestionnaires implantent artificiellement des débris ligneux sur les cours d’eau, ce qu’ils n’auront plus besoin de faire une fois la zone laissée en libre évolution.

« Le bois mort est une ressource importante de la biodiversité forestière et joue un rôle souvent positif dans les cours d’eau d’un point de vue fonctionnel (abri pour la faune, protection du fond en freinant l’incision, diversification des vitesses d’écoulement, etc.). Les microhabitats liés au bois mort en rivière présentent un caractère éphémère lié à l’activité hydrologique. Ce travail montre, à la Massane, que le renouvellement de la ressource est assuré par la non-exploitation de la forêt. (…). Ce travail a permis d’évaluer le faible risque encouru par les populations et les ouvrages à l’aval, induit par la gestion conservatoire de la forêt de la Massane reposant sur la libre expression de l’écosystème forestier (dégradation des arbres morts sur pied, fragmentation des pièces de bois mort au sol, etc.). »

J. Garrigue, J.-A. Magdalou, C. Hurson

Un laboratoire à ciel ouvert en Méditerranée pour étudier le fonctionnement de la biodiversité d'un bassin versant soumis à crues violentes (2016) Chapitre 16 La Massane. Ed. Lavoisier Tec & Doc. Naturalité des eaux et des forêts.

Le cas du castor

Le castor, espèce “clef de voûte” joue un rôle primordial dans l’écosystème des zones humides bien qu’il ait mauvaise presse à cause des modifications flagrantes qu’il applique sur le paysage. Cet ingénieur apporte plusieurs bénéfices :

– il crée par ses barrages des plans d’eau temporaires pour toute une faune aquatique (amphibiens, invertébrés, canards) et des zones de végétation herbacée en milieu humide dont vont profiter d’autres espèces (putois, cigogne noire, élan) ;

– il inonde des parties de forêt en élevant le niveau d’eau et favorise ainsi la production de bois mort ;

– il augmente la superficie des zones humides et des forêts alluviales qui permettent de réguler les crues et les sécheresses, de purifier l’eau et de servir de puits de carbone ;

En bref, le castor est notre allié dans la libre évolution.

Voici un exemple de barrage de castor en Biélorussie.

Ici s’est formée une accumulation de bois sur un affluent de la rivière Yellowstone dans le Parc National de Yellowstone.

Références

  • Cochet, G. & Durand, S. Ré-ensauvageons la France, Plaidoyer pour une nature sauvage et libre. (Actes Sud, 2018).
  • Charrais, J., Detry, P., Da Costa, P., Malavoi, J. R. & Andriamahefa, H. Chapitre 14, Le label ‘Rivière sauvages’, Un nouvel outil de conservation des cours d’eau d’exception. in Naturalité des eaux et des forêts 132–139 (Lavoisier, Tec&Doc, 2016).
  • Garrigue, J., Magdalou, J.-A. & Hurson, C. Chapitre 16, La Massane, Un laboratoire à ciel ouvert en Méditérannée poiur étudier le fonctionnement de la biodiversité d’un bassin versant soumis à crues violentes. in Naturalité des eaux et des forêts 151–155 (Lavoisier, Tec&Doc).
  • Maridet, L., Piégay, H., Gilard, O. & Thévenet, A. L’embâcle de bois en rivière : un bienfait écologique ? un facteur de risques naturels ? La Houille Blanche 32–37 (1996) doi:10.1051/lhb/1996049.
  • Lefeuvre, Jean-Claude, Pascal Laffaille, Eric Feunteun, Virginie Bouchard, et Alain Radureau. « Biodiversity in Salt Marshes: From Patrimonial Value to Ecosystem Functioning. The Case Study of the Mont-Saint-Michel Bay ». Comptes Rendus Biologies 326 (1 août 2003): 125‑31. https://doi.org/10.1016/S1631-0691(03)00049-0
  • (1) Verger, F. Marais maritimes et estuaires du littoral du littoral français (Belin, 2005).
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