Libre évolution :

Exigences de protection : 

Pourquoi des zones sans activités humaines intrusives ou extractives ?

Des espaces sans chasse ni pêche

La faune est devenue beaucoup plus craintive avec la chasse, et la distance de fuite des animaux a considérablement augmenté. Roger Mathieu affirme que « La traduction biologique est une population fragilisée et démographiquement peu dynamique. ».

La chasse déclenche chez les animaux sauvages du stress et des activités coûteuses en énergie. Parallèlement, elle diminue le temps accordé aux activités permettant d’acquérir de l’énergie. Elle a pour conséquence l’affaiblissement de la condition physique des animaux et de façon indirecte la baisse de leur taux de reproduction, y compris chez les espèces non chassées. 

La chasse a également un impact négatif non négligeable sur la santé des espèces et du milieu.
Les cartouches à grenailles de plomb sont responsables de pollution du sol et de l’eau, d’intoxications et d’un nombre conséquent de cas de saturnisme aviaire (selon l’ECHA, un à deux millions d’oiseaux meurent chaque année de saturnisme, en picorant ou en se nourrissant d’animaux intoxiqués par ces munitions).
Par l’élevage de gibiers visant à les lâcher pour les chasser, des maladies contractées dans ces élevages (virus comme la grippe aviaire, bactéries comme l’Escherichia coli, parasites comme les coccidies, etc.) peuvent se disperser, voire provoquer des épidémies, impactant les espèces chassées ou non chassées, et bouleversant ainsi tout le milieu.

En automne, l’augmentation des activités cynégétiques engendre des mouvements d’animaux et peut expliquer certains pics de collisions avec les véhicules, comme ceux observés chez le renard et le sanglier.

 

Le dérangement de la faune sauvage induit par la chasse engendre :

  • Une augmentation de la distance de fuite considérable ;
  • Une augmentation de l’énergie dépensée ;
  • Une baisse de la reproduction ;
  • Une modification de la distribution géographique et des effectifs locaux ;
  • De graves problèmes de santé ;
  • Des pics de collisions avec les véhicules ;
  • Une peur, un stress, une mémoire de la perte de leurs congénères. La chasse est donc incompatible avec une zone en libre évolution.

tonnes de plomb minimum sont déversées dans la nature par la chasse chaque année en France

Nombre de collisions entre les véhicules et la faune sauvage par mois. L’exemple du renard (schéma du haut) et du sanglier (schéma du bas).
Source : Continuités écologiques et collisions avec la faune : des données aux solutions. Journée d’échanges techniques. Suivi de la mortalité faune/véhicules sur le réseau routier national – premiers résultats. Lucille BILLON – UMS Patrinat

Nous observons sur ces graphiques  qu’une hausse nette se produit en automne, lors de la période de chasse, pour les cinq années étudiées (2014 à 2018).

Il arrive que la biche dominante vive un drame : la mort de son faon. Jadis, cette mort était surtout le fait d’une maladie ou d’un loup venu apaiser sa faim, mais de nos jours, c’est souvent le coup de fusil d’un chasseur qui est en cause. Chez les cerfs commence alors le même processus que chez nous, les hommes. C’est d’abord un incroyable désarroi, puis le deuil commence. Le deuil ? Les cerfs peuvent-ils éprouver quelque chose de tel ? Non seulement ils le peuvent, mais ils n’ont pas le choix : le deuil les aide à faire leurs adieux. Le lien qui unit la biche à son petit est si fort qu’il ne peut se dénouer d’un instant à l’autre. Il faut d’abord que la biche comprenne doucement que son faon est mort et qu’il lui faut se séparer du petit corps. Elle ne cesse de revenir sur les lieux du drame et appelle son petit, même si le chasseur l’a déjà emporté…

Peter Wohlleben

La vie secrète des animaux : Amour, deuil, compassion : un monde caché s'ouvre à nous - Ed. Les Arènes - 2018

Des espaces sans exploitation forestière

L’exploitation forestière, selon ses modes d’application, peut provoquer différents impacts sur le milieu et le vivant associé.
Les coupes entraînent la disparition des stades âgés et une perte d’habitat considérable pour de nombreuses espèces qui leur sont liées.
Les plantations monospécifiques sont pauvres en biodiversité et elles sont sensibles aux agents pathogènes et aux aléas climatiques. Leur exploitation mécanisée provoque un tassement des sols et un appauvrissement en nutriments.
Ainsi le sol met des centaines d’années pour retrouver les conditions écologiques antérieurs à la coupe.
Les coupes rases, les  chemins et les routes forestières  rompent la dispersion de la faune et constituent une fragmentation de la couverture forestière.
Moins de forêts âgées signifie aussi moins de stockage de carbone.
La présence humaine et les engins d’exploitation occasionnent des dérangements pour la faune (ce qui implique une dépense calorique, un stress, voire l’abandon du territoire et des jeunes).

L’exploitation forestière dans une aire protégée constitue une menace pour le vivant : perte d’habitat, perte d’espèces végétales et animales antérieurement présentes, appauvrissement du sol, moindre stockage de carbone, stress et dérangement de la faune.
L’exploitation forestière est donc incompatible avec une zone en libre évolution.

La richesse spécifique des forêts en libre évolution est supérieure  à celle des forêts exploitées. Les espèces dépendant de la continuité du couvert forestier, du bois mort et des gros arbres vivants– bryophytes, lichens, champignons et insectes saproxyliques dont les carabes–sont négativement affectés par l’exploitation forestière. Les plantes vasculaires sont favorisées par l’exploitation quant aux oiseaux, la  réponse est hétérogène et dépend plus de facteurs liés à l’échelle du paysage. La différence globale de richesse spécifique entre les forêts en libre évolution et les forêts exploitées augmente avec la durée sans intervention et indique un retour graduel de la biodiversité après l’arrêt de l’exploitation.

Source :

Paillet, Y., Bergès, L., Hjältén, J., Ódor, P., Avon, C., Bernhardt-Römermann, M., Bijlsma, RJ., De Bruyn, L., Fuhr, M., Grandin, U., Kanka, R., Lundin, L., Luque, S., Magura, T., Matesanz, S., Mészáros, I., Sebastià, M-T., Schmidt, W., Standovár, T., Tóthmérész, B., Uotila, A., Valladares, F., Vellak, K., Virtanen, R. 2010. Does biodiversity differ between managed and unmanaged forests? A meta-analysis on species richness in Europe. Conservation Biology 24: 101-112.

Des espaces sans exploitation minière

Les carrières et les mines constituent une ressource non renouvelable pour l’industrie et une source importante de dégradation du milieu (perte de biodiversité, pollution de l’air, de l’eau et des sols). L’exploitation minière mène à la destruction des habitats écologiques par l’élimination du couvert végétal, la modification de la structure du substrat et par les changements de régime des eaux de surface et souterraines locales.
Les explosifs utilisés pour l’extraction des minerais provoquent un dérangement très important  de la faune.
L’extraction disperse des poussières sur de grandes distances. Ces poussières peuvent recouvrir les arbres environnants et donc empêcher la photosynthèse. Elle détériore aussi la qualité de l’air et peut même créer des maladies respiratoires permanentes comme la silicose.
Des zones humides situées à proximité des sites d’exploitation peuvent être polluées, ainsi que la nappe phréatique de toute une zone.

Les carrières créent un dérangement important, mais également une destruction du milieu voire une pollution, mettant ainsi en danger la viabilité des écosystèmes. L’exploitation minière n’est donc pas compatible avec une zone en libre évolution.

Des espaces sans agriculture ni pastoralisme

L’agriculture et l’élevage ne sont pas compatibles avec la libre évolution. Les grands troupeaux autorisés dans les aires  protégées peuvent provoquer un surpâturage et un piétinement dommageable pour la flore et l’entomofaune liée, ainsi qu’une eutrophisation des lacs d’altitude.

Le bétail modifie la structure et le couvert de la végétation d’une manière importante pour les petits mammifères, tandis que les ongulés sauvages peuvent être affectés par la concurrence des animaux domestiques et les changements dans la quantité et la qualité du fourrage disponible. L’abondance des petits mammifères peut diminuer avec le broutage. De nombreuses études ont révélé un changement dans la composition des espèces entre les sites non pâturés et les sites pâturés (Source).

L’entomofaune, en particulier les orthoptères, est aussi souvent impactée de façon négative par des types de pâturage (Source).

Selon une étude comparative des pelouses alpines réalisée en Haute-Savoie, une pelouse pâturée compte environ 5 espèces, dont le nard raide et la fétuque paniculée tandis qu’une pelouse non pâturée compte 125 espèces, dont le lis martagon, le lis Saint Bruno, le lis orangé, 3 espèces d’anémones, etc. (D. Jordan, Flore rare ou menacée de Haute-Savoie. ASTER-CBNA, 2015).

Le surpâturage peut bouleverser des processus écologiques jusqu’à faire disparaître la biodiversité végétale et animale. Notons qu’il en est de même pour l’agriculture dans les aires protégées (destruction d’habitats, appauvrissement de la végétation, pollution du sol). L’agriculture et l’élevage sont des activités incompatibles avec une zone en libre évolution.

Des chercheurs ont mené une étude durant 10 ans sur les impacts liés au pâturage du bétail dans les Highlands en Angleterre. Ils ont révélé les effets négatifs significatifs du pâturage sur la biomasse des plantes et des arthropodes, le nombre de territoires du pipit farlouse (oiseau nicheur), l’amplitude des cycles de population du campagnol des champs  et l’activité du renard roux.

Une biomasse végétale plus faible en raison des densités élevées d’ovins  conduit à des cascades trophiques avec moins d’arthropodes et de petits mammifères, ces derniers affectant ensuite l’activité des prédateurs. Les oiseaux nicheurs choisissent leurs territoires en fonction de l’abondance des arthropodes et de l’hétérogénéité de la structure végétale. La pression à long terme du pâturage du bétail sur les réseaux trophiques est donc ici considérable.

Source : Evans, D. et al. 2015. The cascading impacts of livestock grazing in upland ecosystems: a 10-year experiment. Ecosphere 6(3):42. https://doi.org/10.1890/ES14-00316.1 

Des espaces sans sur-fréquentation humaine

L’omniprésence humaine engendre un changement du rapport au temps des animaux et une modification des chaînes alimentaires. Plusieurs études, dont une parue dans la revue Science en juin 2018, montrent que l’homme, qui exerce principalement ses activités le jour, dérange les animaux diurnes qui deviennent ainsi plus nocturnes. Ce changement a plusieurs conséquences : leur régime alimentaire est perturbé parce qu’ils ne se nourrissent plus des mêmes proies ou risquent de devenir plus vulnérables aux prédateurs. Des chaînes alimentaires sont donc modifiées, des communautés écologiques entières sont susceptibles d’être transformées (Source).
Une méta-analyse de 76 études sur 62 espèces de six continents a révélé un fort effet des humains sur les schémas quotidiens de l’activité de la faune qui devient donc significativement nocturne. Cette découverte était cohérente à travers les continents, les habitats, les taxons et les activités humaines de toutes sortes (Source). 

D’autres espèces apeurées par la sur fréquentation humaine réduisent purement et simplement leur activité et passent plus de temps au « repos » que pour la recherche de nourriture, ou des activités qui favorisent un bon état physique.

Ajoutons que le piétinement répété des humains peut avoir un impact significatif sur le sol en modifiant ses processus microbiens et en détruisant sa couverture végétale (Source). Sans compter les déchets oubliés par les visiteurs.

Une sur fréquentation touristique et une présence des visiteurs hors des chemins balisés sont incompatibles avec une zone en libre évolution.

Pour toutes ces raisons, un espace en libre évolution proscrit les activités intrusives et extractives.
Ces espaces sont des lieux de contemplation, de ressourcement, d’observation naturaliste, de suivis scientifiques où les humains respectueux de la nature sont les bienvenus.

(…) Les espaces naturels sont saturés de visiteurs et cette situation engendre des dommages et des dégâts parfois graves. 800 000 visiteurs par an dans les gorges du Verdon, 49 navires commerciaux faisant des navettes sur la zone de la réserve de Scandola en Corse, plus de 300 personnes par jour pour l’ascension du Mont-Blanc en haute saison, 30 000 touristes par jour sur le Mont-Saint-Michel en août.

La surfréquentation entraîne des impacts sur les écosystèmes : destruction de la flore par piétinement, élargissement des sentiers et chemins, impacts sur la végétation et la faune (augmentation du dérangement par les effets de présence et les effets de bruit, mais aussi disparition de certaines espèces inféodées à des milieux particuliers), sur la biodiversité marine (destruction de coraux par exemple). Elle suscite aussi l’augmentation des déchets et leur dispersion dans la nature, notamment dans les sites balnéaires, et nuit à la qualité des paysages.

Extrait de l'EXPOSÉ SOMMAIRE pour l'amendement n°5333 à la loi portant lutte contre le dérèglement climatique - mars 2021

Bibliographie

  • Chasse :
  • Association Animal Cross. L’animal sujet de droit, propositions pour de nouveaux horizons. (2019). Sur le site internet de l’association : https://www.animal-cross.org/avec-la-chasse-cest-toute-la-nature-qui-agonise
  • Roger Mathieu, Livre blanc sur la chasse LPO Auvergne Rhône-Alpes – 2011 https://auvergne-rhone-alpes.lpo.fr/images/chasse/livre_blanc_sur_la_chasse.pdf p 59
    Effets du dérangement par la chasse sur les oiseaux d’eau, Revue d’écologie, 2003
  • A. Tamisier, A. Béchet, G. Jarry , J-C. Lefeuvre & Y. Le maho. Effets du dérangement par la chasse sur les oiseaux d’eau revue de littérature. France sans chasse – rapport Chasse et Biodiversité
    https://echa.europa.eu/fr/-/echa-identifies-risks-to-terrestrial-environment-from-lead-ammunition
  • Baron M. Suppression de l’utilisation de la grenaille de plomb de chasse dans les zones humides exposant les oiseaux d’eau au saturnisme. Rapport MEDD, 20p. (2001).
  • Billon, L. Rapport d’analyse de la répartition des collisions faune/véhicule DIR Ouest – Données récoltées de 2014 à 2016 Mars 2018 – SPN 2017 – 102.
  • P. Wohlleben. La vie secrète des animaux, ed Les arènes, (2016).
  • Petrak, M. « Rotwild als erlebarres Wildtier : Folgerungen aus dem Pilotproject Monschau-Elsenborn für den Nationalpark Eifel », in Von der Jagd zur Wildbestandregulierung », NUA, cahier n°15, p. 18-24,NUA, (2004).
    Lussiaà-Berdou, G. Radio Canada – https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1151412/deuil-animaux-baleines-singes-reaction-mort-humain-maman-bebe-recherche
  • Exploitation forestière :
  • Schnitzler, A. & Génot, J.-C. La nature férale ou le retour du sauvage. (Jouvence nature, 2020).

  • Exploitation minière : 
  • Kaya, M. Environmental Impacts of Mineral Resource Exploitation and Use – Osmangazi University, Technological Research Center (TEKAM), Eskişehir, Turkey
  • Agriculture et pastoralisme :
  • Jordan, D. Flore rare ou menacée de Haute-Savoie, ASTER-CBNA, (2015).
  •  Evans, D. et al. The cascading impacts of livestock grazing in upland ecosystems: a 10-year experiment. Ecosphere 6(3):42. (2015).
  • Cochet, G. & Durand, S. Ré-ensauvageons la France, Plaidoyer pour une nature sauvage et libre. (Actes Sud, 2018).
  • Présence humaine limitée : 
  • Gaynor et al., The influence of human disturbance on wildlife nocturnality, Science, Vol 360, pp 1232-1235,(2018).
  • Barlow, J., Lennox, G., Gardner, T. Anthropogenic disturbance in tropical forests can double biodiversity loss from deforestation, Nature (2016).
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